Auteur Sujet: 15 mai 1779: Napoléon entre à l'école de Brienne  (Lu 2376 fois)

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15 mai 1779: Napoléon entre à l'école de Brienne
« le: 15 mai 2013, 18:36:58 pm »
bonjour Messieurs.


NAPOLEON A BRIENNE
par M. Patrice ROMARY

(Membre de la Société Académique de l'Aube,
Président de l'Association Passepoil, Conférencier,
Délégué départemental des Amis du Patrimoine Napoléonien,
Membre d'Honneur de la Société Napoléonienne Internationale,
Reconstitueur Historique aux Grenadiers d'Île-de-France).


Napoléon Bonaparte est né le 15 août 1769, à Ajaccio, né de l'union de Charles Bonaparte son père, et de Laetitia Ramolino sa mère. Il entre tout d'abord au collège d'Autun, le 1er janvier 1779 avec son frère Joseph Bonaparte. Pendant trois mois, il apprendra la langue française, sans pour autant oublier l'accent de son île natale.

Le 15 mai 1779, il entre à l'école de Brienne, après de longues démarches, effectuées par son père : en effet, il aura été nécessaire d'établir les quartiers de noblesse de la famille Bonaparte depuis 4 degrés du coté du père, et obtenir un certificat de noblesse, puis réunir un certificat de pauvreté en bonne et due forme, qui permettra d'obtenir les secours du Roi, et une lettre de recommandation indispensable, d'un personnage puissant et de qualité. Le comte de Marbeuf écrira 2 lettres en faveur du jeune Bonaparte en 1778. Je précise que le comte de Marbeuf est gouverneur de Corse.

L'école Militaire Royale de Brienne est créée par déclaration Royale du 1er février 1776. Le Roi fait du collège de Brienne une des succursales de l'école militaire de Paris. Cette école ouvre le 1er avril 1776. Selon un règlement en date du 28 mars 1776, les élèves du Roi étaient pris parmi les enfants de la noblesse pauvre (ce que l'on nomme les boursiers de nos jours). Ainsi, une pension est versée annuellement, de 700 livres (environs 4000 francs, ou un peu plus de 600 euros). Moyennant quoi, les religieux devaient les instruire, les nourrir, les héberger, et leur fournir annuellement 2 uniformes, le matériel scolaire, et 2 livres par mois d'argent de poche.

L'instruction dispensée concerne différents domaines, comme l'usage de l'écriture, des langues française, latine et allemande, la connaissance de l'histoire, de la géographie, des mathématiques et du dessin. L'éducation était formée par la pratique de la musique, de la danse et de l'escrime. La discipline est assez sévère, l'éducation rude et rigoureuse. On dispense également l'enseignement de la morale et de la logique. Lorsque l'on rentre à l'école de Brienne, on doit y rester 6 années, 6 années sans sortir même pour voir ses parents. Il y a bien une période de vacances, du 16 septembre au jour de la Toussaint, mais elles se passent dans l'établissement, et sont employées à revoir les matières de l'année, au cours d'une classe chaque matin.

Voici un emploi du temps, typique d'une journée à cette époque :

-De 6 heures à 8 heures du matin : toilette, prières, instructions sur les bonnes mœurs et les lois de l'Etat, messe, déjeuner.

-De 8 heures à 10 heures : cours sur les matières de base : mathématiques, physique, latin, histoire et géographie.

-De 10 heures à 12 heures : cours de fortifications et dessins de cartes.

-A midi : dîner, précédé du bénédicité et des grâces, et une heure de récréation.

Les élèves prennent leur repas dans un réfectoire de 180 couverts sous la responsabilité de surveillants, (la nourriture y est saine et abondante). La salle de repas dite «des professeurs», existe toujours, et fait partie du Musée Napoléon. Les minimes y prennent leur repas et rendent rarement visite aux élèves.

-De 14 heures à 16 heures : cours identiques au matin, cours de mathématiques, physique, latin, histoire et géographie.

-De 16 heures à 18 heures : escrime, danse, musique, ou langues vivante (Allemand).

-De 18 heures à 20 heures : étude, et sujets identiques à l'horaire précédent.

-De 20 heures à 22 heures : souper précédé des grâces et du bénédicité, récréation, puis prières du soir avant le coucher.

-Couvre-feu à 22 heures.
Chaque élève boursier apporte lors de son entrée à l'école, un trousseau qui se compose :

-trois paires de drap de 3 pieds de large sur 6 de long,

-un couvert et un gobelet d'argent, marqués aux armes de la famille,

-douze serviettes,

-un habit de drap bleu, boutons blancs aux armes de l'école, doublure, collet et parements comme ceux de l'habit,

-deux culottes noires et douze chemises,

-douze mouchoirs et douze cols blancs,

-six bonnets de coton,

-deux peignoirs,

-un sac à poudre et un ruban de queue,

Le tout à l'état neuf bien entendu.

Jusqu'à 12 ans, les cheveux sont coupés ras, la couchette ne possède qu'une paillasse et une seule couverture, qu'elle que soit la saison.

Arrivée de Napoléon Bonaparte à Brienne
Mais, revenons à notre élève, et à son arrivée à Brienne, le 15 mai 1779. Il entre dans la cour, après avoir été présenté au chef d'établissement : « Eh, le nouveau, comment vous nommez-vous ?» Napoléon qui a grandi en parlant le patois corse, s'exprime encore mal en français, et avec une prononciation italienne qui transforme les «u» en «ou» et les «e» en «é» répond: «Napoléoné Buonaparté !». Immédiatement on s'esclaffe : «Napailloné……La paille au nez !». Le jeune Bonaparte est désormais flanqué d'un sobriquet, la paille au nez ! Mais, qu'avons-nous comme renseignements sur l'élève Bonaparte et ses progrès scolaires ?

Nous savons qu'il a un goût prononcé pour la langue française, et une certaine prédilection pour l'étude des mathématiques, où il se fait remarquer dans cette matière. D'année en année, il fait même des progrès, au point de devenir le plus fort de toute l'école dans ce domaine. Il passe ses nuits à méditer les leçons de la journée, au point d'avoir certains jours une mine épouvantable. Plus tard, il confiera : «J'employais à travailler les heures de récréations et souvent, même mes nuits se passaient à méditer les leçons de la journée. Ma nature ne pouvait supporter de ne pas être le premier de la classe.».
Il avait de l'attirance pour la géographie, et il avait beaucoup de mémoire pour la topographie et les noms de localités. Mais son étude favorite reste l'histoire. Il passait pour le plus infatigable liseur de l'école, il empruntait livre sur livre. Nous connaissons un grand nombre d'anecdotes sur le séjour de Bonaparte à l'école, mais deux d'entre elles retiennent l'attention des historiens, et l'on ne peut parler de Brienne sans les citer. La première concerne une des punitions infligées à Bonaparte.

Les punitions sont sévères et les élèves en faute sont mis aux arrêts. Cependant, pour les fautes moins graves, les élèves sont condamnés à prendre leur repas à genoux, au seuil du réfectoire. C'est ce qui arriva à Bonaparte ; il fut condamné par un supérieur à dîner à genoux à l'entrée du réfectoire. Mais, pour échapper à la sentence, par fierté sans doute, il fut pris d'un vomissement subit et d'une violente attaque de nerfs. Et il aurait même crié : «Je dînerais debout, Monsieur, et non à genoux. Dans ma famille, on ne s'agenouille que devant Dieu.».

Enfin la deuxième anecdote, certainement la plus connue : l'hiver 1783-84 est marqué à Brienne par une vague de froid inhabituelle pour notre département. La neige tombe sans discontinuer pendant plus d'une semaine. La cour de l'école est recouverte par une épaisse couche de neige de 6 à 8 pieds de hauteur. D'après les conseils de Bonaparte, des élèves creusent des tranchées, élèvent des parapets, des bastions et des redoutes. «Le travail fini, nous pourrons, dit-il, nous diviser en pelotons, et faire une espèce de siège, et comme l'inventeur de ce nouveau projet, je me charge de diriger les attaques.». La troupe joyeuse accueillit ce projet avec enthousiasme. Les uns sont préposés à la défense et les autres à l'attaque. Bonaparte dirige les opérations, tantôt dans un camp, tantôt dans l'autre !

Napoléon a été élevé pieusement et il remplissait toujours et avec ferveur ses devoirs religieux. Quelquefois, durant les récréations, il se glissait furtivement dans la chapelle de l'école, pour y prier. D'ailleurs, il fera sa première communion à l'église de Brienne. Chaque élève, pendant son séjour à l'école, est orienté vers une arme, comme la marine, l'artillerie (arme savante pour l'époque), le génie ou l'infanterie. Napoléon sera d'abord orienté vers la marine, mais sera dirigé la dernière année vers l'artillerie.

En 1784, le sous-inspecteur des écoles militaires, fixait l'état des élèves à passer à l'école de Paris : Napoléon Bonaparte est candidat à l'artillerie, avec une note soulignant que " Monsieur Bonaparte s'est toujours distingué par son application aux mathématiques ". Un vieil adage affirme que le collège est l'école de la vie. Il est certain que les 5 années que Bonaparte passa à Brienne, laissèrent dans son esprit une empreinte ineffaçable. «Je suis plus Champenois que Corse, car dès l'age de 9 ans, j'ai été élève à Brienne.» dira t-il à Gourgaud, 30 ans plus tard à Sainte-Hélène.

Le 22 octobre 1784, le Roi Louis XVI donne à Napoléon une place de cadet gentilhomme à l'école militaire de Paris. Le 30 octobre 1784, il rejoint la Capitale. Puis, se sera l'ascension formidable :

-nommé lieutenant en second le 1er septembre 1785 au régiment d'artillerie de La Fère
-nommé lieutenant en premier le 1er avril 1791 au 4ème régiment d'artillerie
-élevé au grade de capitaine en second le 10 juillet 1792
-nommé général de brigade le 22 décembre 1793, après le siège de Toulon
-général de division, commandant en chef de l'armée de l'intérieur le 16 octobre 1795
-nommé commandant de l'armée d'Italie le 2 mars 1796
-se marie avec Joséphine de Beauharnais le 9 mars 1796 avant la campagne d'Italie
-nommé général en chef de l'armée d'Orient le 5 mars 1798
-nommé consul après le coup d'état du 18 brumaire.
-nommé consul à vie par plébiscite le 5 août 1802.
-proclamé Empereur des français le 18 mai 1804.
-couronné Roi d'Italie le 17 mars 1805. Petite parenthèse : Napoléon passe à Brienne en 1805 et restera plusieurs jours. Il profitera de cet arrêt dans la ville pour revoir l'école de sa jeunesse, hélas laissée dans un triste état après la période révolutionnaire.

Les victoires se succèdent : Ulm, Austerlitz, Iéna, Friedland, les campagnes aussi : l'Espagne, l'Autriche. Napoléon divorce de Joséphine, elle ne peut lui donner un fils. Il se remarie en 1810, avec Marie-louise, fille de l'empereur d'Autriche, et le 20 mai 1811, naît le roi de Rome.

1812, la France et la Russie rompent leur alliance, et le 24 juin, la Grande Armée part en campagne, pour battre en retraite en décembre. La Russie devient le tombeau de cette Grande Armée. Puis lui succède une nouvelle campagne, en 1813, l'Allemagne. La Prusse comprend que l'Empire est touché à mort, et veut gagner la guerre, bientôt rejoint par l'Autriche. L'armée française est battue une nouvelle fois à Leipzig et se replie en désordre.
La Campagne de France



Le 1er janvier 1814, deux armées alliées déferlent sur la France, avec plus de 200 000 hommes. La campagne de France commence.

Les Autrichiens sont sous les ordres du feld-maréchal prince de Schwarzenberg, et les Prussiens sous les ordres du maréchal Blücher. Le lundi 24 janvier 1814, les français résistent à Bar sur Aube, commandés par le maréchal Mortier, puis se replient sur Troyes. Les Prussiens, environs 30 000, envahissent Brienne, les Autrichiens, 12000, occupent Bar sur Aube.

Pendant ce temps, l'Empereur quitte Paris, non sans avoir confié son fils, à la garde nationale de Paris. Le 25, il est à Chalons sur Marne, le 26 à Vitry, le 27 il est devant Saint-dizier ou les troupes françaises repoussent des Russes. Le vendredi 28 janvier, il quitte Saint-dizier, et se dirige vers Brienne, ou il veut déloger le maréchal Blücher. A 9 heures, il passe à Eclaron, sous la neige qui commence à tomber, pour arriver vers 18 heures à Montierender.

Le samedi 29 janvier, dès 4 heures du matin, les troupes se mettent en marche sous les ordres de Napoléon en personne. Il fait froid et humide. Malgré la pluie, la neige tombée les jours précédents ne fond pas complètement. La brume se lève difficilement. Comme toujours, l'Empereur est en tête des troupes, mais il ne parvient pas à s'orienter. Pourtant, il a vécu quelques temps à Brienne et les environs lui sont familiers. Sa mémoire lui fait-elle défaut ? Un village apparaît sous la brume, et on devine des toits de chaume à travers les arbres. Soudain, des coups de feu, des cris. Des hussards, certainement prussiens, sont en faction dans le petit village. Les chasseurs à cheval de la Grade les dispersent très vite. Puis, comme par miracle, un curé en soutane qui s'est glissé jusque là, surgit devant l'Empereur entouré par son état-major :

«Sire, soyez béni. Me reconnaissez-vous ?». Trente années sont passées, mais il le reconnaît immédiatement. C'est Edmé Henriot (note 1), qui était jadis professeur à l'école Royale militaire de Brienne.

«Mon père, vous serez mon guide.»

Le curé a une connaissance parfaite de la région et se révèle aussitôt un auxiliaire précieux. Il monte en croupe derrière le mameluk Roustan, garde du corps de l'Empereur. Le père Henriot sait où sont les postes de l'ennemi, signale les passages dangereux, les chemins impraticables, et grâce à lui, de fâcheuses rencontres sont évitées. Puis, on lui donne enfin un cheval qu'il monte fort mal, mais il maîtrise parfaitement son appréhension. Il se dévoue totalement à la cause de son ancien élève.

- 1. Edmé Henriot, orthographié Hanriot, voir Hanrion, était professeur à l'école militaire de Brienne. En 1790, après la saisie des biens de l'église, le personnel de l'école est dispersé. Le père sera à la paroisse d'Estissac en 1793, puis à Saint-germain de Linçon près de Troyes. En 1803, il est nommé à Bercennay-en-Othe, puis en 1809 à Maizière-les-Brienne jusqu'en 1817. A cette date, il devient le curé de Bercennay-le-Hayer, ou il meurt le 6 février 1823.

Vers 15 heures 30, le détachement arrive sur les hauteurs de Perthes. Napoléon examine avec émotion la ville de sa jeunesse. A ses côtés, se tient le curé, fier d'apporter son aide. La bataille est engagée depuis quelques temps. Les russes défendent les abords de Brienne, pendant que l'armée prussienne se range sur les hauteurs, devant le château. Napoléon donne l'ordre à l'artillerie d'ouvrir le feu. Il est 16 heures et l'attaque est générale. Puis, l'Empereur ordonne au maréchal Ney d'attaquer Brienne, les attaques précédentes ne donnant aucun succès. En soirée, pendant que les troupes françaises progressent dans les rues, un détachement sous les ordres du chef de bataillon Henders, pénètre dans le château, et manque de faire prisonnier le maréchal Blücher en personne. Quelques officiers ennemis seront fait prisonniers.

Pendant la bataille, le curé avait voulu accompagner son élève, jurant de ne plus l'abandonner, mais le pauvre homme, est bientôt épouvanté par le sifflement des balles, le son du canon. Son cheval est tué sous lui, et une balle blesse légèrement notre homme d'église au talon. Horrifié, il rentre rapidement à sa paroisse.

Napoléon, vers 10 heures du soir, regagne son quartier général, établit à Maizières, alors que la bataille continue. L'obscurité est grande et le détachement prend le chemin du village, l'Empereur en tête. La nuit est très noire et il est difficile de se diriger malgré la lueur de quelques feux. Dans ce moment, une bande de cosaques, attirés par l'appât du butin et le bruit des caissons, se glissent à travers les ombres et parviennent jusqu'à la route.

Le général Dejean crie brusquement «Aux cosaques !», pendant que plusieurs d'entre eux s'élancent sabre et lance à la main. Il veut plonger son sabre dans un des cavaliers qu'il croit tenir mais celui-ci lui échappe et se lance sur l'Empereur. Le général Corbineau et le Baron Gourgaud se précipitent. Le baron s'interpose à une lance ennemie dont la pointe vient se planter dans le centre de sa légion d'Honneur sans le blesser et abat un cosaque qui tombe aux pieds de l'Empereur. Quelques cosaques sont sabrés et le reste de la bande, découvert, saute les fossés et disparaît sous une grêle de balles, des chasseurs à cheval accourus à bride abattue.

Vers 23 heures, l'Empereur décide d'aller dormir, chez le père Henriot. Le maréchal Berthier arrive après tout le monde, on le ramène couvert de boue ; il était tombé dans un fossé. Le presbytère est aussitôt converti en chambre impériale. L'église, elle, est transformée en ambulance, où arrivent les premiers blessés.

Napoléon, arrive chez le père Henriot, qui lui aussi est couvert de boue, il a eu son cheval tué d'une balle. Napoléon le plaisante un peu de son équipée guerrière de l'après-midi. Puis, lui donne la croix !

Plus tard, l'Empereur lui attribuera également une pension.

Le lendemain, dans son église transformée en ambulance, le curé déploiera toute son énergie à soigner les blessés.

Napoléon écrit quelques lettres, donnant quelques détails de la bataille : «Si j'avais eu de vieilles troupes, il aurait été possible de mieux faire et d'enlever tous les parcs et bagages que j'ai vu défiler devant nous et que mon mouvement instantané à forcé Blücher à rappeler d'Arcis sur Aube. Si Brienne avait pu être occupé plutôt, tout serait en notre pouvoir ; mais dans les circonstances actuelles et avec l'espèce de troupe qu'il faut manier, il faut se tenir heureux de ce qui est arrivé.».
Le maréchal Blücher a été battu, avec 4000 hommes hors de combat et de nombreux prisonniers, mais la manœuvre de Brienne n'a pas eu son plein effet.
Dimanche 30 janvier 1814.



A la pointe du jour, Napoléon apprend que le maréchal Blücher a battu en retraite. A sept heures, il donne les premiers ordres, et vers huit heures, ordonne au général Grouchy et sa cavalerie de se mettre aussitôt à la poursuite de l'ennemi. Le brouillard est épais, et le terrain est défoncé par une fine pluie et le dégel. Grouchy rencontrera l'ennemi vers 10 heures, qui se repliera après quelques combats, sur les hauteurs entre Trannes et Eclance, et avec de sérieuses pertes.

Pendant ce temps, l'Empereur parcourt les ruines de la ville, et visite l'école militaire ou il avait été élève de dix à quatorze ans. L'école est dans un triste état depuis les événements de la révolution. Partout il observe la dévastation, les cadavres de chevaux et d'hommes, les armes et les équipements qui jonchent les rues, les cours des maisons. L'église, ou il a fait sa première communion, est remplie de blessés. Passant dans une rue, il voit un homme en pleurs et lui demande la cause :

«Sire, ma maison est brûlée avec tout ce que je possédais, ma femme et mes enfants se sont enfuis et j'ignore encore où ils sont.». Cet homme s'appelle Champion et il rappelle à l'Empereur que sa mère était autrefois à l'école militaire, chargée du soin des plus jeunes. Napoléon lui adresse quelques paroles bienveillantes et lui donne une poignée de pièces d'or (note 2). Puis il gagne le château où il installe son quartier général. Le château lui rappelle sa jeunesse, des tas de souvenirs, mais la belle demeure est saccagée, les vitres sont brisées par les balles, certains meubles sont détruits, et il y a des morts dans la cour et certaines pièces du château. L'état-major du Maréchal Blücher était d'ailleurs installé ici même peu de temps auparavant, mais ils ont été délogés par l'infanterie et les marins de la Garde. Des habitants sortent des souterrains du château où ils s'étaient réfugiés avant la bataille grâce au concierge.

- 2. Malgré les recherches entreprises, nous ne connaissons pas le montant exact du don.

Le soir, retiré dans une pièce, il fait le projet de rebâtir la ville, d'acheter le château, et d'y fonder une résidence impériale, ou une école militaire. Le sommeil vient le surprendre dans les calculs et les illusions de ce projet.
Lundi 31 janvier 1814

Dans la journée, l'Empereur trouve quelques heures pour visiter les blessés, leur porter les consolations, les encourager de sa présence, et leur adresser des paroles qu'il trouve si bien pour aller au cœur de ses soldats.

Vers 20 heures, Napoléon est de retour au château. Vers 22 heures, il donne l'ordre de lever le camp le plus discrètement possible, dès le lendemain matin. Puis, il écrit plusieurs lettres, à sa femme, à Joseph, puis à Cambacérès, le duc de Feltre, et le duc de Rovigo. Il leur écrit qu'il vient de remporter la victoire de Brienne, poursuivi l'ennemi jusqu'à mi-chemin de Bar-sur-Aube. L'affaire de Brienne, la position des armées, et l'opinion que les coalisés avaient d'elles, pourrait accélérer les conclusions de la paix. Il insiste enfin sur l'utilité de montrer dans les journaux que Paris veut se défendre, que des troupes arrivent de toutes parts et se préparent à combattre (note 3).

- 3. Correspondance au Roi Joseph, de Brienne le 31 janvier 1814.
Mardi 1er février 1814

Dès 4 heures du matin, les premières troupes commencent à se replier, en bon ordre. Le temps est affreux, il y a des bourrasques de neige. A 9 heures, Napoléon arrive près du village de la Rothière afin de s'assurer que la retraite s'effectue en bon ordre. C'est la jeune garde qui débute le mouvement.

A 12 heures, le général Grouchy signale que l'ennemi se dirige sur Brienne. L'Empereur examine la situation et décide d'accepter le combat, malgré un ouragan de neige, qui l'empêche de voir les rassemblements ennemis. Il rappelle immédiatement la jeune garde que le maréchal Ney a envoyé sur Lesmont. Ce sera sa réserve.

Pendant la bataille : Napoléon est obligé de s'approcher si près de l'ennemi, que le général Grouchy le supplie d'envoyer une partie de l'Etat-major à l'arrière, par crainte de la voir emportée en une seule salve. Napoléon lui répond : «Ne savez-vous pas que mes heures sont comptées...».
Vers 16 heures, le maréchal Blucher décide de tenter de nouveaux efforts à l'aile gauche des alliés. Le comte de Wrede attaque le village de Morvilliers (note 4), malgré une résistance du maréchal Marmont et des charges répétées du général Doumerc. L'Empereur tente vainement de faire reprendre la position, malgré le renfort de la division du général Meunier, de la jeune garde. La bataille fait rage partout, et en particulier sur le centre, au village de la Rothière.

- 4. Madame Veuve Michaut, de la Rothière, décédée vers 1890, racontait avoir vu l'Empereur à cheval pendant la bataille du 1er février, à Chaumesnil, dans un verger au milieu du village, sur lequel les projectiles se croisaient en tous sens. Elle avait à l'époque cinq ou six ans, et son père l'élevant sur ses épaules, lui recommandait de bien regarder Napoléon, afin de s'en souvenir. Cet homme était persuadé comme beaucoup de soldats de cette époque que l'Empereur était invulnérable. Pendant qu'un boulet emportait sa cheminée, et que les balles battaient son mur et avaient failli tuer sa femme, voyant Napoléon impassible observer le combat, il dit : " Oh, lui, les balles ne lui peuvent rien ! " (Note de la Société académique de l'Aube, 1897).

A 20 heures, Napoléon regagne le château de Brienne et donne les ordres de passer durant la nuit le pont de Lesmont et de marcher sur Troyes. A 23 heures, les ordres pour le décrochage sont donnés. Cette retraite doit débuter vers 2 heures du matin. L'Empereur travaille toute la nuit au château, redoutant une attaque de l'ennemi dicte des ordres d'évacuation des malades, des équipages militaires, des farines et des caissons. Toutes les pièces de canon démontées sont rechargées et emmenées. Si cette opération était impraticable, elles doivent être jetées dans l'eau ou dans les mares. A chaque instant l'Empereur demande s'il n'y avait rien de nouveau ; il va à la fenêtre du château et il regarde la ligne des bivouacs du champ de bataille. Triste et inquiet, il travaille sur ses cartes les prochaines manœuvres.
Mercredi 2 février 1814

A 4 heures du matin : Napoléon après avoir travailler toute la nuit, quitte Brienne, en donnant ses derniers ordres. Il marche à pied pendant un quart de lieue, après quoi il monte à cheval. Il passe Lesmont, puis le soir dormira à Piney.

L'Empereur quittera le département le 9 février (note 5), et livrera plusieurs batailles décisives dans les départements limitrophes de l'Aube. La campagne de France n'est pas finie, de grandes victoires se profilent à l'horizon, mais également des défaites, qui auront comme conséquence l'abdication de l'Aigle, et le retour sur le trône des Bourbons.

- 5. L'Empereur revient dans notre département de l'Aube, puisqu'il repassera par Troyes plusieurs fois, et qu'il livrera bataille à Méry-sur-Seine, et Arçis sur Aube.

Patrice ROMARY - Février 2004
 

Sources :

-Histoire de Napoléon Bonaparte, par Amédée Gabourd, Tours 1878.
- La jeunesse inédite de Napoléon, par Paul Bartel, Paris 1935.
- Napoléon et la Champagne, hors série de La vie en Champagne, 1999.
- Brienne et les boules de neige, revue Napoléon 1er, n°17 nov.dec 2002.
- Napoléon en 1814, par Patrice Romary, Paris 2003.
- Archives de l'auteur.
- Archives de l'Association Passepoil.
- Archives de l'Association des Amis du Patrimoine Napoléonien.
 


«Pour ma pensée, Brienne est ma patrie.
C'est là, que j'ai ressenti mes premières impressions de l'homme.».
Napoléon Bonaparte

salutations Grognards.