II. LE BATAILLON D’ARTILLEURS AUXILIAIRES :
Autres troupes levées: Decaen comme la plus part des officiers de carrière arrivés dans l’île avait fait son apprentissage dans la France Républicaine et Révolutionnaire et il plia sa vision des choses à son devoir de militaire : trouver de nouveaux bras.
Aussi pour lui les questions relatives aux couleurs de peau ne le touchèrent que de très loin lorsqu’il lui fallut trouver de nouveaux hommes et voulut recruter chez les « gens de couleur libres». C’est par un acte officiel que naît l’un des premiers corps militaires qui sera recruté sur place.
«Decaen Capitaine général des établissements français à l’est du cap de bonne espérance, ayant reconnu l’urgence de former une compagnie de gens de couleurs, libres, pour contribuer au moins pendant la guerre, à la défensse(sic) des colonies orientales de la république ; persuadé qu’il y trouvera parmi ceux de l’Isle de la Réunion des soldats fermement disposés à faire preuve de zèle et de courage, arrête:»
Suit une série de 10 articles donnant en substance :
La compagnie de gens de couleur libres portera la dénomination de compagnie d’artilleurs auxiliaires ( article 1), elle sera composée d’officiers ( au nombre de 6) nommé par le capitaine général (article 7) et de sous officiers ( au nombre de 4 ) tous blancs, exception faite pour le grade de caporal, seul grade accessible aux hommes de couleur. Son effectif sera de 145 hommes dont 120 fusiliers (article 2) Le recrutement se fera de 16 à 25 ans de la taille de 5 pieds 4 pouces ( 1m 60 au moins) (article 3) et sur la base du volontariat, mais si au 10 germinal, le corps n’est pas complet, « il sera procédé comme il est indiqué ci après, à la levée du nombre d’hommes encore nécessaire(sic) » (article 4).
Celle-ci sera effectuée par les membres du conseil d’administration de chaque quartier et par désignation « des hommes susceptibles de servir dans la dite compagnie en ce conformant à ce(sic) que prescrit l’article 3» (article 5) Les hommes seront transportés à l’Isle de France (article 6) Enfin, ils seront soldés, administrés et régis de la même façon que l’infanterie de ligne de l’armée française (article 9).
Notons que ces troupes relèvent d’un statut bâtard du point de vue militaire, puisqu’elles tiennent à la fois de la ligne, de l’artillerie, et de la troupe d'élite puisque l’article 11 précise qu’elles feront le service d’artillerie et seront instruites comme des troupes légères .
Il existe de nombreux documents établissant l’inscription de ces hommes de couleur libres, sur la liste des forces nationales et surtout fournissant de très nombreux détails. Au vu de ces derniers nous pouvons affirmer que :
Dans la réalité, les conditions d’âge furent extrêmement peu respectées, ainsi sur 9 hommes libres désignés par le conseil d’administration du quartier de Sainte-Suzanne pour faire partie des artilleurs auxiliaires, le plus jeune avait 18 ans, le plus vieux 55 . De même le 12 prairial An XII ( 1er juin 1804 ) où 6 hommes supplémentaires sont désignés, leur âge s’étale de 18 à 41 ans . Le phénomène de recrutement de personnes plus vieilles que l’âge légal peut sembler peu choquant, si l’on considère que la faiblesse des effectifs pouvait pousser à recruter de manière plus large. Le problème devient plus délicat, lorsque cet élargissement, se fait autant vers le haut que vers le bas. Dans une liste d’hommes de couleur libres en date du 16 germinal An XII ( 6 avril 1804 ) établie par le commandant de quartier pour la commune de Saint-Leu, il est fait état de 28 hommes âgés de 15 ans pour le plus jeune à 56 ans pour le plus ancien, avec une moyenne de 33 ans .
On envisagea de les employer comme artilleurs pour les batteries côtières où ils feraient également le service d’infanterie et d’artillerie. Mais dans la pratique, des quotas étaient mis en place par les conseils d’administration des communes, de concert avec l’administration militaire, et si le « volontariat » n’était pas suffisant, les militaires comblaient les manques à l’aide du sacro-saint pouvoir de réquisition, pouvoir dont ils feront un usage assez conséquent.
Cette méthode fut un autre essai pour les communes de purger leurs populations des éléments indésirables, comme le laisse transparaître un état des hommes nouvellement levé à Saint-Paul. Le texte précise:
«que le conseil d’administration juge qu’il serait un bien pour ce quartier qu’ils fussent incorporé(sic) dans la compagnie d’artillerie auxiliaire» .
Dans la même direction, le conseil d’administration de Sainte-Suzanne présenta 9 individus «comme susceptibles de servir dans l’artillerie auxiliaire en exécution de l’arrêté du capitaine général en date du 1er floréal An XII ( 21 avril 1804 )»
Sur ces 9 individus, 7 sont décrits comme « mauvais sujet et à charge à la commune et à la colonie» . Toujours dans ce courant un document nous apporte un complément de qualificatifs sur les individus que l’administration civile y envoyait afin de s’en débarrasser :
« Mauvais sujet et même plus » (!), errant, sans conduite, sans moyens, menant une conduite déréglée ou déserteur depuis 20 jours . Des termes qui résonnent étrangement comme d’autres que l’on retrouvera pour les chasseurs de la Réunion. Il est à préciser par honnêteté que dans ce même document il se trouve un individu que l’on décrit comme marié, ayant 2 enfants, bon sujet et ayant des moyens. On peut imaginer deux situations : la première est celle d’un « homme de couleur libre », citoyen modèle, croyant fermement en son devoir, volontaire pour servir sa patrie. La seconde, moins exaltante, celle d’un affranchi qui, sous les pressions de l’administration locale, se sera porté volontaire pour combler les manques de cette nouvelle compagnie.
D’autres documents permettent d’étoffer les motifs de désignation et les adjectifs employés ou les tournures de phrases méritent d’être citées pour l’importance des conséquences qu’elles sous-entendent :
Dans la liste des gens de couleur libre susceptibles d’être enrôlé dans la compagnie d’artilleurs auxiliaires de Sainte-Rose, on trouve les vocables d’ivrogne, de paresseux, sans propriété, commerce nocturne et illicite ( trafic de café pendant la nuit sans doute, le café étant un monopole d'état ), à charge de sa famille, « n’ayant rien, ne faisant rien, suspect pour ce rapport » Ayons l’honnêteté de préciser que de cette liste de 13 personnes seules 5 sont décriées pour mauvaise conduite (se sont donc ces cinq là qui totalisent l’ensemble des adjectifs énoncés plus haut) et sont exclues 2 vieilles personnes ( de 62 et 50 ans), à quoi il faut ajouter, deux personnes récemment arrivées sur lesquelles « le conseil d’administration ne peut prononcer sur leur moralité » .
prochain paragraphe : la compagnie de dragons