bonjour.
Combien de fois nous avons pu entendre « Napoléon voulait envahir l’Angleterre » et combien de fois certains l’ont comparé à Hitler? Et si ce n’était qu’une légende, une fausse information colportée depuis deux siècles. En réalité, ce fut bien plus complexe qu’on ne le pense. Tout d’abord, vouloir débarquer en Angleterre est un projet qui date depuis l’antiquité. De César à Guillaume II de Normandie, en passant par Louis XIV, Louis XV et Louis XVI et le Directoire, tous avaient programmé un débarquement. Sous le Consulat et l’Empire, c’est au tour de Napoléon d’être à la tête de l’État et d’assumer l’héritage de l’Histoire de France. Mais va-t-il faire pour autant comme ses prédécesseurs?
Situations de la France et séjours de Napoléon à Boulogne sur mer, port stratégique français le plus proche de l’Angleterre
Fin 1797: Barras, Rewbell et La Révellière-Lépeaux furent au pouvoir. Débutée en 1792, la 1re coalition contre la France révolutionnaire prit fin grâce au traité de Campo Formio, signé entre le général Bonaparte et l’Autriche. Seule l’Angleterre resta en guerre. De retour à Paris en décembre, Bonaparte fut élu membre de l’Institut et rêva d’une expédition scientifique en Orient. Il fut également nommé commandant de l’Armée du nord dite « d’Angleterre ».
1798, 1er séjour: Le 8 février, Napoléon alla pour la première fois dans le nord de la France pour une inspection des ports et pour étudier le projet de débarquement en Angleterre souhaité par le Directoire. En quelques jours, il visita Etaples, Boulogne, Ambleteuse, Calais, Dunkerque, Ostende jusqu’à l’île de Walcheren et prit tous les renseignements possibles du matelot à l’amiral, du pécheur au contrebandier. Deux semaines plus tard, un rapport fut établi où il indiqua avec précision les conditions à réunir pour un éventuel débarquement. Il confia que ce projet ne sera possible qu’avec de la chance…
Le 19 mai, le Directoire donna l’ordre à Napoléon et à son corps expéditionnaire, composé de militaires et de scientifiques, de partir pour l’Égypte. Le projet de débarquement en Angleterre fut, à ce moment, irréalisable. Étonnante destiné, l’expédition en Orient donnera naissance à l’égyptologie…
1799: L’Angleterre, l’Autriche, la Russie et la Turquie formèrent une seconde coalition contre la France. Napoléon revint d’Egypte en août et prit part en novembre à un coup d’État pour renverser le Directoire corrompu. Il fut désigné ensuite 1er Consul et dut s’engager avec son armée pour une 2e campagne d’Italie face aux Autrichiens.
1801: En février, Napoléon et son armée mirent fin à la seconde coalition. La France fut en paix avec la Russie et l’Autriche, sauf avec l’Angleterre…
Défaites de Nelson à Boulogne: Cette même année, Napoléon fit réunir une flottille commandée par l’amiral Latouche-Tréville à Boulogne. Le 4 août, la flottille de Nelson bombarda Boulogne, mais les marins français résistèrent et l’éloignèrent. Le 16 août, Nelson récidiva et essuya une lourde défaite…
1802: Le 25 mars, Napoléon obtint enfin la paix avec l’Angleterre (paix d’Amiens).
1803: En mai, l’Angleterre rompit la paix et redéclara la guerre à cause des projets coloniaux français. A Londres, on songea à l’assassinat de Napoléon.
Camp de Boulogne
2e séjour: Le 29 juin, Napoléon partit pour le nord de la France pour une inspection d’un mois allant de Saint Valéry à Anvers. Plusieurs camps militaires furent créés, un à Etaples, deux autres à Boulogne, un à Montreuil, un à Calais, et un à Saint-Omer. L’ensemble de ces camps fut appelé « camp de Boulogne » et le général Soult en eut le commandement le 28 août.
3e séjour: Le 3 novembre, Napoléon, conseillé par l’amiral Bruix, installa son quartier général au château de Pont de Briques, près de Boulogne. Il médita sur une traversée de la Manche en février 1804. Il donna les ordres pour les travaux des forts en mer, des ports de Wimereux et d’Ambleteuse, des avenues, parcs et batteries, pour la construction des ateliers, magasins de la marine, arsenal et quais, pour la réparation de la route allant de Boulogne à Saint-Omer, pour l’approvisionnement en outils, pour l’augmentation du nombre d’ouvriers, pour l’envoi de canons de Liège, pour la coupe du bois, pour l’apport de chevaux d’artillerie, pour l’amélioration des vivres, de l’habillement des militaires, pour la rénovation des hôpitaux et pour des inspections militaires. L’effectif fut d’environ 30000 soldats à Boulogne et de 10000 à Montreuil.
4e séjour: Le 31 décembre, Napoléon revint sur Boulogne pour terminer les inspections. L’effectif atteint 100000 soldats et l’amiral Latouche-Tréville tenta de réorganiser une flotte provenant de Toulon, du Texel, du Ferrol et de Brest. Le retard des travaux repoussa le projet de débarquement à juillet-août 1804.
1804: Le 18 mai, Napoléon fut proclamé Empereur des Français par sénatus-consulte.
Caricature anglaise publiée le 11 décembre 1805 par S. Fores intitulée "John Bull échange des nouvelles avec le continent". Les Anglais incarnent la vérité et les Français incarnent le mensonge...
5e séjour: Le 19 juillet, Napoléon inspecta de nouveau le port de Boulogne ayant désormais 900 canons. Le 25 et 26 juillet, il inspecta les troupes. Le 27 juillet, il décréta la pause d’une aigle au sommet des drapeaux. Le débarquement en Angleterre fut repoussé pour septembre. Le 16 août, distribution des Légions d’Honneur sur le site de Terlincthun, près de Boulogne. Le 26 août, les marins anglais bombardèrent Boulogne sans succès. Le 31 août, Napoléon quitta le Pas de Calais pour le Rhin.
1805: En janvier, Napoléon réédita les offres de paix à George III, roi d’Angleterre, sans succès. L’amiral Villeneuve, remplaçant de Latouche-Tréville décédé, participa au nouveau plan naval et se prépara à revenir des Antilles avec la flotte espagnole pour renforcer la flotte de Boulogne. Le 11 avril, l’Angleterre et la Russie se coalisèrent contre la France.
6e séjour: Le 3 aout, arrivée de Napoléon au château de Pont de Briques. Le 4, il passa en revue 112000 soldats opérationnels.
Le 9 aout, l’Autriche rejoignit la coalition anglo-russe et positionna son armée en direction de la frontière est de la France. Au même moment, une crise financière toucha la France et aucune nouvelle de l’amiral Villeneuve, censé arriver avec la flotte franco-espagnole d’Espagne. Fin août, le plan de débarquement en Angleterre fut définitivement annulé et Napoléon décida de contrer la nouvelle coalition austro-russe.
Le 2 décembre, à la bataille d’Austerlitz (dans l’actuelle République Tchèque), l’armée française battit la coalition austro-russe. Une victoire des plus importantes puisqu’elle permit de signer une nouvelle paix avec l’Autriche et la Russie, de stopper la crise financière et ainsi de maintenir le régime de l’Empire français.
Pourquoi un « camp de Boulogne »?
L’objectif du camp de Boulogne fut de répondre à la rupture des accords de paix des Anglais
C’est permettre un entraînement militaire à la fois terrestre et maritime
C’est contrer les attaques maritimes ou débarquements anglais.
C’était aussi un moyen de dissuader comme peut l’être aujourd’hui nos sous-marins nucléaires. Une stratégie de faire croire aux coalisés à un débarquement. Sachant que l’armée française était concentrée au nord de la France, les Russes et les Autrichiens avaient le champ libre côté est, et pouvaient franchir la frontière française à tout moment. Ils étaient loin d’imaginer que Napoléon pouvait abandonner soudainement le camp de Boulogne fin août 1805, et ferait marcher la Grande Armée aussi rapidement vers eux. Il avait encore surpris les coalisés: « La force d’une armée, comme la quantité de mouvement en mécanique, s’évalue par la masse multipliée par la vitesse ».
Les arguments qui rendent peu crédible le débarquement en Angleterre:
Les travaux portuaires du boulonnais ne furent pas achevés
Ce qui engendra des dépenses supplémentaires, et elles dépassèrent les chiffres votés par le corps législatif
La marine française, indispensable pour la traversée de la Manche, ne pouvait rivaliser la marine anglaise. Une révolution de dix ans de 1789 à 1799 ne permit pas d’obtenir un budget. Certes, en décembre 1793, le jeune capitaine Bonaparte trouva la tactique pour libérer Toulon des Anglais, mais ces derniers, avant de fuir, incendièrent l’arsenal et la majorité des bateaux. Les conséquences furent lourdes: pas de budget et des années pour en construire. Ne resta opérationnel que l’arsenal de Brest. Début août 1798, pendant l’expédition d’Égypte, les Anglais parvinrent à battre les Français à la bataille navale d’Aboukir et détruisirent 11 vaisseaux et 4 frégates. Après la paix d’Amiens de 1803, l’État souffrit encore au niveau du budget de la marine, ce qui freina la construction navale. (le nombre de navires anglais actifs et en construction fut largement supérieur au nombre de navires français; idem pour le budget)
La flottille batave, chargée de renforcer la flotte de Boulogne, fut absente
Les escadres de Toulon et de Brest ne furent pas prêtes
L’amiral Decrès (Ministre de la Marine) et l’amiral Bruix (Commandant la flotte de Boulogne) furent en désaccord au sujet du plan de la traversée de la Manche
Les décès de deux hauts responsables à un moment crucial: l’amiral Latouche-Tréville le 20 août 1804 et l’amiral Bruix le 18 mars 1805
L’Autriche se réarma et signa à son tour la coalition contre la France le 9 août 1805. La frontière est de la France fut donc menacée
En août 1805, aucune nouvelle de la flotte franco-espagnole de l’amiral Villeneuve censée arriver d’Espagne
En août 1805, début d’une crise financière qui toucha la France
Napoléon fut de nature optimiste mais il ne prit jamais un risque non mesuré, en témoigne ses écrits: « Jamais je n’aurais été assez fou pour faire une descente en Angleterre avant qu’une révolution eût éclaté dans ce pays. L’armée rassemblée à Boulogne fut toujours destinée à agir contre l’Autriche… et vous avez pu savoir combien Boulogne est près de Vienne »
Dans ses mémoires, Metternich, diplomate autrichien, dit: « La Grande Armée fut créée par Napoléon sous le prétexte de descente en Angleterre, opération à laquelle il ne songea jamais. Son véritable but était de nous faire la guerre. Napoléon dans un de nos entretiens me fit lui-même l’aveu, ce qui ne m’étonna pas, ma conviction ayant toujours été qu’une opération aussi hasardée que douteuse au-delà des mers n’a jamais été projetée sérieusement par lui. »
Loïck Bouvier, Manager du Carré Impérial
Sources: Bibliographie de l’Amiral Monaque – Service Historique de la Défense – Lettres, actes et décisions de Napoléon au camp de Boulogne – Googlebooks
le lien ci-dessous.
http://www.carreimperial.fr/napoleon-voulait-debarquer-en-angleterre/salutations grognards.